Lettre ouverte à Mme Rima HASSAN sur son soutien aux thèses coloniales du
Makhzen
Par Abdeslam Aomar Lahsen
Président de l’Association
des Familles des Prisonniers et Disparus Sahraouis
AFAPREDESA
Madame Rima Hassan,
Aussi surprenant et grave que cela puisse paraître, la « militante et juriste en droit international » que vous êtes, vient d’épouser, telles quelles, les thèses coloniales marocaines sur le Sahara occidental. En lisant le contenu de votre discours sur le « Sahara » divulgué sur les réseaux sociaux, j’aurais juré qu’il avait été dicté par un membre de la DST ou de la DGED marocaines, et non par la militante identifiée aux luttes anticoloniales, telle que vous êtes connue dans le monde. C’est comme si un sioniste justifiait la conquête des terres palestiniennes au détriment des droits inaliénables du peuple palestinien.
La thèse du « différend entre le Maroc et l’Algérie », si chère au Makhzen, est reprise par vous dans une tentative de vider la question sahraouie de sa nature de décolonisation, inscrite en tant que telle par la Quatrième Commission de l’ONU depuis 1963. Une juriste aussi avisée et compétente que vous devrait être en mesure de discerner parfaitement la différence, en droit international, entre un litige ou un différend frontalier et un territoire, comme le sahraoui, dont le statut est distinct et séparé de celui des pays limitrophes. Par ailleurs, le statut distinct et séparé du Sahara occidental par rapport au Royaume du Maroc a été réaffirmé par toutes les sentences du Tribunal de Justice de l’Union européenne depuis 2015 à nos jours. Au Sahara occidental, il ne s’agit pas d’un conflit de délimitation de frontières, mais de la détermination des conséquences à tirer du statut du Sahara occidental en tant que territoire non autonome au sens de l’article 73 de la Charte des Nations unies.
Mme Rima Hassan,
Vous nous sommez
de ne pas comparer les questions palestinienne et sahraouie. Bien que cela puisse
vous déplaire, les deux questions ont, bel et bien, des similitudes frappantes:
·
Les deux territoires sont soumis une cruelle occupation par
deux régimes animés par des prétentions expansionnistes. L’occupation de la
Palestine est l’objet de multiples résolutions et avis juridiques. Celle des
Sahara Occidental a été condamnée par l’Assemblée générale de l’ONU, dans sa
résolution 34/37, exprimant sa « profonde préoccupation » face à la
détérioration de la situation due à « la persistance et l’extension de
l’occupation ». Cette résolution :
1. Déplore
profondément l’aggravation de la situation résultant de l’occupation
persistante par le Maroc.
2. Demande
instamment au Maroc de participer à la dynamique de paix et de mettre fin à son
occupation.
Les deux régimes nient l’existence des peuples
autochtones et ne lésinent pas sur les moyens pour les
éliminer, mettant en œuvre des politiques génocidaires sans
précédent. Pour atteindre leurs objectifs respectifs, le Makhzen et
le sionisme se sont alliés depuis longtemps et utilisent des
méthodes similaires. Cette alliance criminelle se trouve aujourd’hui à
son plein apogée, alors que le génocide contre le
peuple palestinien est transmis en direct, et que le
génocide contre le peuple sahraoui se poursuit en silence. Le génocide contre
le peuple sahraoui est une vérité juridique irréfutable, prouvée par la
première mission de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme qui a
documenté les victimes des bombardements au Napalm et phosphore blanc en 1976 ainsi que la sentence 1/2015
du juge Pablo Ruz de l’Audience Nationale d’Espagne, dictée le 9 avril 2015,
dans le cadre de la Compétence Universelle.
Dans la dite sentence, il est avéré que : « Depuis
novembre 1975, date de l'occupation du Sahara occidental par le Maroc –
territoire qui était auparavant une colonie espagnole – et jusqu'en 1991, date
du cessez-le-feu entre le Maroc et le Front Polisario, un groupe armé sahraoui,
une attaque systématique et généralisée a été menée contre la population civile
sahraouie par les forces militaires et policières marocaines : bombardements de
camps de population civile, déplacements forcés de civils, assassinats,
arrestations et disparitions de personnes, toutes d'origine sahraouie et
précisément en raison de cette origine, dans le but de détruire totalement ou
partiellement ce groupe de population et de s'emparer du territoire du Sahara
occidental. Outre les arrestations, il y a eu des emprisonnements prolongés
sans procès, certains durant de nombreuses années, et des actes de torture
infligés à des personnes sahraouies par des fonctionnaires militaires et
policiers marocains dans divers centres de détention officiels, situés aussi
bien sur le territoire du Sahara occidental qu'au Maroc. Ces attaques,
perpétrées contre la population sahraouie sur l'ensemble du territoire du
Sahara occidental et menées par l'Armée et la Gendarmerie marocaines, auraient
été impulsées par les hauts commandements de ces corps militaires et exécutées
dans le but d'occuper le territoire du Sahara occidental et d'en prendre
possession. »
Par ailleurs, la déportation
massive des populations sahraouies est reconnue par les récentes arrêts du Tribunal de Justice
de l’Union Européenne que estime que 75 % du peuple sahraoui a été déplacé
et se trouve en dehors des territoires occupés suite l’agression militaire marocaine
à partir de novembre 1975 (Point 127 des arrêts du TUEJ du 4 octobre 2024, pourcentage
réaffirmé dans le Point 156 du verdict
rectifié le 15 janvier 2025).
Les colonies de peuplement
est un autre point commun entre les deux situations mêmes si celles des terres palestiniens ont fait
couler, à juste raison beaucoup d’encre et ont été amplement condamnées para la communauté internationale alors que
celles des terres sahraouies a été délibérément occultées ou ignorées en dépit
des proportions alarmantes de la présence des colons au Sahara Occidental. Selon les données de la Commission Européenne environ
25% seulement de la population actuelle des territoires occupés est d’origine
sahraouie (Point 128 des arrêts du TUEJ du 4 octobre 2024, pourcentage
réaffirmé dans le Point 157 du verdict
rectifié le 15 janvier 2025).
.
·
Le deux peuples sont divisés par des murs qui négativement
impactent les communautés palestiniennes
et sahraouis. Les deux murs reflètent des logiques coloniales similaires,
visant à diviser des populations et à annexer des ressources ou des terres,
tout en entravant l’autodétermination. Cependant leurs contextes, leurs
échelles et leur visibilité internationale diffèrent, le mur en Palestine étant
plus médiatisé et juridiquement contesté, tandis que le mur au Sahara
occidental reste «oublié » malgré son impact dévastateur. Ce dernier est
truffée de mines et pratiquement infranchissable pour les populations
sahraouies depuis cinq décennies, empêchant totalement leur liberté de
mouvement. Les familles sahraouies se trouvent séparées et divisées depuis 50
ans.
·
Les deux peuples ont un grand point commun : la
Résistance. En effet, les peuples palestinien et sahraoui mènent depuis des
décennies des luttes de résistance profondément enracinées dans leur quête pour
le droit à l’autodétermination et la fin de l’occupation. En Palestine, la
résistance prend multiple formes — de la résistance populaire et civile aux
actions politiques et diplomatiques — face à une occupation israélienne
prolongée, une expansion coloniale agressive et un génocide et blocus
dévastateur, notamment dans la bande de Gaza. Au Sahara Occidental, le peuple
sahraoui résiste à l’occupation marocaine depuis 1975, à travers une lutte
diplomatique intense menée par le Front Polisario, reconnu par les Nations
Unies comme représentant légitime, ainsi que par des mobilisations populaires
pacifiques dans les territoires occupés, souvent réprimées avec violence. Bien
que les contextes historiques et géopolitiques diffèrent, ces deux luttes
partagent un même combat pour la justice, la dignité et la reconnaissance
internationale de leur statut de territoires non autonomes dont le droit à
l’autodétermination a été continuellement entravé par des puissances occupantes
soutenues par des alliances régionales et internationales.
En guise de conclusion, bien que les dynamiques historiques, géopolitiques et culturelles spécifiques à chaque situation nécessitent une analyse rigoureuse pour éviter les simplifications, les questions sahraouie et palestinienne présentent des similitudes en termes d'occupation, de déplacement, de résistance et de quête d'autodétermination communes voire identiques.
Mme Rima Hassan
Vous reprenez, mot à mot, la rhétorique
de la marche pacifique. En fait, il s’agit de l’opération militaire marocaine,
baptisée "Opération Oubou", qui
fut lancée dès le 31
octobre 1975, précédant la Marche Verte qui débuta le 6
novembre. Cette initiative visait à créer un fait accompli sur le terrain avant
le début de la marche.
Concrètement, environ 20
000 soldats de l'Armée royale marocaine pénétrèrent dans
le territoire du Sahara Occidental à partir du nord-est. Leur avancée fut
facilitée par le retrait
stratégique et coordonné des troupes espagnoles de leurs
postes avancés, notamment à Yderia,
Hausa, Mahbes et plus tard Smara. Ce retrait, négocié en amont
entre Madrid et Rabat dans le cadre des accords secrets qui ont conduit aux
accords tripartites de Madrid, laissa un vide sécuritaire que les forces
marocaines comblèrent immédiatement.
Cette période marqua le début des premières crédibles de violations massives des droits de
l'homme dans le conflit. Des organisations internationales
et des témoignages de Sahraouis ont depuis documenté de nombreux cas de disparitions forcées, de détentions
arbitraires et d'exécutions extrajudiciaires visant
spécifiquement la population civile sahraouie et les combattants du Front
Polisario, qui s'opposait à la fois à l'occupation espagnole et à l'invasion
marocaine.
La rhétorique officielle marocaine de l'époque, illustrée par les discours
du roi Hassan II, jouait sur deux tableaux. D'un côté, il présentait la Marche
Verte comme une initiative pacifique
et spirituelle, enjoignant ses participants à "partager leur pain avec les Espagnols"
s'ils les rencontraient. De l'autre, il adressait une menace voilée mais claire
aux Sahraouis, laissant entendre que toute résistance serait traitée
militairement, comme l'atteste la phrase : "...et si vous rencontrez d'autres
[personnes], la vaillante armée [marocaine] s'en occupera."
Mme Rima
Hassan,
Votre
texte le plus polémique, est celui relatif à
l’Avis juridique de la CIJ puisse vous tenter de le vider de son essence
aux profits d’interprétation visant à
le contourner et à contenter le Makhzen. Ainsi vous omettez de rappeler que la résolution 3292 de l’Assemblée
Générale de l’ONU avait conditionnée un tel Avis à la réaffirmation du principe
d’autodétermination conformément à la Résolution 1514 du 14 décembre 1960. En
effet, dans la partie diapositive de la résolution 3292, l’Assemblée Générale
de l’ONU :
1 "Décide
de demander à la Cour internationale de Justice, sans
préjudice de l'application des principes énoncés dans la résolution 1514 (XV) de
l'Assemblée générale, de rendre consultatif à une date rapprochée sur les
questions suivantes : « I. Le Sahara occidental (Río de Oro et Sakiet El Hamra)
était-il, au moment de sa colonisation par l'Espagne, un territoire
n'appartenant à personne (terra nullius) ? »
Si la réponse à la
première question est négative,
« II. Quels étaient
les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l'entité
mauritanienne ? »
L'avis de la CIJ de
1975 est un document pivot pour trois raisons :
1.
Il invalide la
thèse de la terra nullius, reconnaissant l'existence d'un peuple sahraoui avec
une organisation sociale et politique propre.
2.
Il rejette
explicitement les arguments de souveraineté territoriale avancés par le
Maroc et la Mauritanie.
3.
Il corrobore
et renforce le principe d'autodétermination conformément à la Résolution
1514 (XV) du 14 décembre 1960 comme fondement juridique pour résoudre la
question du Sahara occidental, principe qui reste, près de 50 ans plus tard, au
cœur de l'impasse politique et du mandat de la Mission des Nations Unies
(MINURSO).
Madame Rima Hassan,
Votre
plaidoyer pour un État binational démocratique dans le conflit
israélo-palestinien, tel que mentionné dans votre profil Wikipédia mis à jour
le 12 août 2025, soulève des interrogations quant à sa cohérence lorsque vous
semblez vous aligner sur les thèses marocaines concernant le Sahara occidental.
La
Marche verte, que vous évoquez, a été condamnée par la résolution 380 du
Conseil de sécurité des Nations unies en 1975, ce qui contredit l’image
pacifique que vous pourriez suggérer. De plus, des actions militaires
marocaines ultérieures, documentées avec l’utilisation de napalm et de
phosphore blanc, ont marqué l’invasion du territoire.
Les
récents affrontements au Sahara occidental, y compris la résurgence de
l’"Intifada de l’indépendance" depuis 2005, mettent en lumière une
guerre toujours en cours — et non un conflit gelé — remettant ainsi en question
toute narration d’une unité maghrébine mutuellement consentie.
La
Cour internationale de justice a statué en 1975 que le Maroc n’avait aucune
souveraineté historique sur le Sahara occidental, une position juridique
constamment réaffirmée par l’ONU. Ce constat semble entrer en contradiction
avec l’argument des allégeances tribales que vous semblez soutenir.
Par
ailleurs, le soutien militaire d’Israël au Maroc, y compris des livraisons
d’armes utilisées dans le conflit au Sahara, a été officialisé dans le cadre
des Accords d’Abraham en 2023. Si vous dénoncez les actions israéliennes
ailleurs, ce rôle reste curieusement absent de votre analyse sur le Sahara
occidental.
Je
reste ouverte au dialogue pour clarifier ces points, dans l’esprit de votre
engagement affiché pour la justice et la décolonisation.
Cordialement,
Chahid El Hafed, le 21 aout 2025